COMPLEMENTS HISTORRIQUES
Localisation
Carte du Gévaudan et alentours La Bête a sévi principalement dans le pays du Gévaudan, dont les limites sont sensiblement les mêmes que le département de la Lozère. Mais elle s'est rendue également dans le Velay (Haute-Loire), la Haute-Auvergne (Cantal), et le Rouergue (Aveyron). Si l'on considère le découpage administratif des années 2000, la Bête aurait fait plus de 80 victimes dans la région Auvergne et plus de 70 dans le Languedoc-Roussillon. Au niveau des départements, c'est la Lozère qui est la plus touchée avec plus de 70 victimes, devant la Haute-Loire qui en déplore plus de 60. Les cantons de Saugues, de Pinols et du Malzieu sont ceux où l'on recense le plus de victimes, avec respectivement 34, 23 et 22 personnes.
Si l'on se limite aux frontières géographiques, la Bête a été présente majoritairement dans les montagnes de la Margeride, et en certaines occasions sur les monts de l'Aubrac.
Elle était d'abord dans l'est du Gévaudan, vers Langogne et la forêt de Mercoire, avant de migrer vers la Margeride et la zone des Trois Monts : mont Chauvet, Montgrand et mont Mouchet.
Au XVIIIe siècle, l'environnement du Gévaudan était constitué de vallées et de montagnes très boisées. Il existe alors, en Margeride, de nombreuses tourbières (aussi appelées « sagnes » ou « molières »), rendant difficile tout déplacement. Les villages étaient alors très dispersés, et les infrastructures routières limitées.
En ce qui concerne le climat, il n'était pas rare que l'hiver soit très long. En effet, les premières neiges pouvaient survenir dès le mois de septembre, et la saison hivernale pouvait durer jusqu'en mai.
Le rapport Marin Le 20 juin 1767, lendemain de la mort de l'animal tué par Jean Chastel, le notaire royal Roch Étienne Marin rédige un rapport de son autopsie depuis le château de Besque, propriété du marquis d'Apcher, dans la commune de Charraix (Haute-Loire). Ce rapport a été retrouvé en 1958, et apporte quelques informations sur la nature de cet animal[50]. Voici une partie des dimensions (avec comme repère, un pied faisant 32,4 cm, un pouce faisant 27 mm et une ligne faisant 2,25 mm) :
Élément | Taille en pouces/pieds | Équivalent actuel |
Longueur depuis la racine de la queue jusqu’au sommet de la tête | trois pieds | 99 cm |
Depuis le sommet de la tête jusque entre les deux grands angles des yeux | six pouces | 16,2 cm |
Largeur d’une oreille à l’autre | sept pouces | 18,9 cm |
Ouverture de la gueule | sept pouces | 18,9 cm |
Largeur horizontale du col | huit pouces six lignes | 23 cm |
Largeur des épaules | onze pouces | 29,7 cm |
Largeur à la racine de la queue | huit pouces six lignes | 23 cm |
Longueur de la queue | huit pouces | 21,6 cm |
Diamètre de la queue | trois pouces six lignes | 9,5 cm |
Longueur d’oreille | quatre pouces six lignes | 12,2 cm |
Largeur du front au-dessous des oreilles | six pouces | 16,2 cm |
Longueur de l’humérus | huit pouces quatre lignes | 22,5 cm |
Longueur de l’avant bras | huit pouces | 21,6 cm |
Longueur de la mâchoire | six pouces | 16,2 cm |
Largeur du nez | un pouce six lignes | 4 cm |
Longueur de la langue | quatorze pouces depuis sa racine | 37,9 cm |
Largeur des yeux | un pouce trois lignes | 3,4 cm |
Épaisseur de la tête | sept pouces | 18,9 cm |
Jambes de derrière de la première à la seconde articulation | sept pouces deux lignes | 19,4 cm |
De la seconde à la troisième articulation jusqu’aux ongles | dix pouces | 27 cm |
Largeur des pattes | quatre pouces six lignes | 12,2 cm |
De la châtaigne au bout de la patte | six pouces | 16,2 cm |
Par ailleurs, ce rapport nous apprend des détails sur les mâchoires de l'animal. Ainsi, on apprend que la mâchoire supérieure est composée de 14 dents, soit 6 incisives, 2 crochets et 6 molaires. La mâchoire inférieure, elle, comporte 22 dents : 12 incisives et 10 molaires.
Ce rapport est également agrémenté de plusieurs témoignages de personnes reconnaissant l'animal, ainsi que les blessures qu'il possédait.
De plus, la tradition décrit l'animal comme pesant plus de 50 kg.
Statistiques
Les statistiques sont assez variables suivant les auteurs et la période de leurs écrits. Elles doivent, de plus, être pondérées pour plusieurs raisons. Tout d'abord rien ne prouve que toutes les victimes qualifiées d'officielles par les actes de décès sont vraiment à attribuer à la Bête. Certaines personnes ont en effet pu faire passer un mort comme étant une victime de la Bête. A contrario, suite au mandement de l'évêque mettant en avant les pêchés du peuple, certains actes de sépulture ont pu ne pas signaler qu'il s'agissait là d'un meurtre perpétré par la Bête. De la même façon, après le départ de François Antoine, les sources sont moins fréquentes.
Les sources qualifiées d'officielles font état d'un peu plus de 80 personnes tuées. Il y aurait également eu une trentaine de personnes blessées, et une cinquantaine d'autres attaquées.
S'il semble exact que la Bête n'a fait aucun mort chez les hommes adultes, elle ne faisait pas de préférence entre les femmes et les hommes. Elle s'attaquait cependant plus fréquemment aux enfants qu'aux adultes.
Caractéristiques de la Bête
Si l'histoire de la Bête du Gévaudan a été autant commentée depuis les événements et sa disparition, c'est principalement parce qu'elle présente plusieurs mystères.
Tout d'abord sur sa nature morphologique. En effet, ni l'animal tué par François Antoine ni celui tué par Jean Chastel, n'ont été conservés. Si l'on s'en tient au rapport Marin, il s'agirait d'un canidé, mais d'aspect inhabituel. Toutefois, de nombreux témoins, accoutumés à la présence de loups dans leur campagne, n’ont pas reconnu dans cet animal un loup, mais l’ont directement dénommé sous le terme bestia, « la bête » en langue d'oc.
Ensuite, de nombreux témoignages font penser à une relative invulnérabilité de cette Bête. Le manque d'efficacité des armes a alimenté la théorie selon laquelle elle aurait pu porter une cuirasse en peau de sanglier, comme en portaient les chiens utilisés à la guerre jusqu'au début du XIXe siècle. De nombreux témoignages relatent le fait que la Bête aurait été touchée par une ou plusieurs balles de fusil, tirées par des chasseurs de bonne réputation, et pourtant elle se serait relevée à chaque fois.
Les témoignages font également apparaître un don d'ubiquité à la Bête. Elle aurait, en effet, été aperçue dans un très faible intervalle de temps en des lieux distants de plusieurs kilomètres les uns des autres. Cependant, ces distances restent, dans bien des cas, envisageables pour un seul animal.
Deux des traits les plus marquants de cette Bête sont sa familiarité et son audace. Au moins jusqu'au départ de François Antoine, elle semble ne pas craindre l'homme. Lorsque la bête rencontre une résistance de la part de la victime ou de ses compagnons, elle s'éloigne « de 40 pas », s'assoit parfois sur le train arrière pendant quelques instants et, si elle n'est pas poursuivie, revient à la charge. Elle s'éloigne du lieu de son forfait au petit trot ou au pas. Plusieurs fois, des victimes auraient été attaquées en plein village[N 18] et une majeure partie des témoignages attestent que les attaques ont eu lieu de jour.
Enfin la Bête est très agressive et agile. Cette agressivité est caractérisée par un acharnement qui ne semble pas toujours dicté par la faim. Elle est de plus très agile, car selon les témoignages, elle avait la capacité de sauter par-dessus des murs qu'un chien n'aurait pu franchir.
LES PERSONNES LIEES
La famille Chastel
La famille Chastel est restée dans l'histoire pour plusieurs raisons. Tout d'abord parce que Jean Chastel est celui qui a tué la Bête du Gévaudan. Mais également parce que plusieurs auteurs ont accusé les Chastel, notamment Antoine, fils de Jean, d'avoir dompté et programmé la Bête. Jean Chastel vivait au village de La Besseyre-Saint-Mary, et était connu sous le sobriquet de « de la masqua », autrement dit le « fils de la sorcière ». Il était lettré, comme le signale sa présence fréquente pour signer les registres. C'est par ces signatures que l'on retrouve son métier. Ainsi, il était laboureur, brassier, mais également cabaretier.
Deux des fils de Jean Chastel sont reliés à l'histoire de la Bête : Antoine et Pierre. Ils furent emprisonnés en même temps que leur père, en août 1765. Il a été écrit, depuis les livres d'Abel Chevalley et d'Henri Pourrat, qu'Antoine vivait dans le bois de la Ténazeyre, non loin de là où devait se cacher la Bête, cependant ceci n'appartient pas à la tradition orale, et aucun écrit d'époque ne vient corroborer cette affirmation.
La famille de Morangiès
La maison de Molette de Morangiès est sans doute issue d'une petite seigneurie située à Molette, aujourd'hui commune de Prévenchères. Elle serait, par ailleurs, propriétaire à la Garde-Guérin. En 1410, Jean de Molette hérite du château et de la seigneurie de Morangiès, voisine de celle de Molette. En 1608, François de Molette de Morangiès épouse Marie de Louet de Calvisson, héritière de la seigneurie gentilhommière de Saint-Alban. Le 31 décembre 1726, Pierre-Charles de la Molette de Morangiès épouse Louise-Claudine de Guérin de Châteauneuf-Randon de Tournel. Cette union permet aux Morangiès d'acquérir la baronnie du Tournel, et le droit d'entrée aux états du Languedoc. Il s'installe alors au château du Boy dans le Valdonnez, qu'il embellit grandement. En 1741 il rachète pour 20 000 livres une partie de la baronnie de Canilhac, mais également les droits d'entrées aux états du Gévaudan et du Languedoc qui y étaient associés. Il fait alors transférer ce titre à sa terre de Saint-Alban par décision royale.
Pierre-Charles de Molette se titre ainsi marquis de Morangiès, comte de Saint-Alban, baron et seigneur de maints lieux. En 1745 il se distingue à la bataille de Fontenoy, alors qu'il est maréchal de camp. Ceci lui permet de recevoir la croix de chevalier de Saint-Louis et de devenir lieutenant-général. Il est ensuite fait prisonnier durant la guerre de Sept Ans. Il est aussi atteint par la disgrâce du maréchal de Soubise après la défaite de Rossbach. Il se retire alors dans son hôtel particulier à Paris, avant de revenir à Saint-Alban. En 1765 l'évêque de Mende l'informe que le Roi lui a rendu sa confiance.
Il aurait eu quatre fils et deux filles. L'un d'eux est resté dans l'histoire de la Bête du Gévaudan, il s'agit de Jean-François-Charles, comte de Morangiès. Il est né le 22 février 1728 au château du Boy. À 14 ans, il devient mousquetaire du Roi. Il était colonel du régiment d'infanterie du Languedoc durant la bataille de Minorque en 1756. Il est d'ailleurs nommé gouverneur de Minorque par le maréchal de Richelieu. Il le resta jusqu'en 1763. En 1753 il avait épousé Marie-Paule-Thérèse de Beauvilliers de Saint-Aignan, fille d’un duc et pair, avec qui il eut deux fils.
La famille d'Apchier
La baronnie d'Apchier est l'une des huit baronnies du Gévaudan, donnant droit d'entrée aux États particuliers du Gévaudan, mais également, suivant la roue de tour aux États du Languedoc. Cette baronnie se situe, dès le XXe siècle, entre le Bès et la Truyère. Elle gagne en puissance lorsque Garin de Châteauneuf, co-seigneur avec son frère Odilon de la baronnie de Châteaunef-Randon, épouse Alix d'Apchier, héritière de la baronnie. Le château principal de la baronnie se trouve alors au village d'Apcher, désormais commune de Prunières en Lozère. En 1638, l'héritière de la baronnie, Marguerite, épouse François de Crussol, duc d'Uzès. Son petit-fils, Charles de Crussol, vend alors la baronnie pour payer ses dettes. C'est Pierre Bouniol, juge général au « comté d'Apchier », qui rachète la majeure partie de la baronnie. Il la revendra, avec le droit d'entrée aux états du Gévaudan, entre 1717 et 1719 au marquis de Roquelaure, Emmanuel de Besuéjouls.
En 1764, le marquis d'Apcher est Jean-Joseph. Il est né le 3 juin 1745 au château de Besque. Il est le fils de Joseph de Randon et Henriette de La Rochefoucauld. En 1765 il a 20 ans quand il prend peu à peu la tête des chasses contre la Bête du Gévaudan. C'est d'ailleurs lui qui organise la battue du 19 juin 1767, où Jean Chastel a vaincu la Bête.
LE CORPS ECCLESIASTIQUE
Gabriel-Florent de Choiseul-Beaupré
Gabriel-Florent de Choiseul-Beaupré était évêque de Mende, et par conséquent comte de Gévaudan depuis 1723. Il est issu de la famille de Choiseul, et, pendant son épiscopat, ses cousins César Gabriel de Choiseul-Praslin et Étienne François de Choiseul occupaient des postes de haut rang auprès du royaume. Il cherche continuellement à prendre soin des habitants du Gévaudan. Mais il n'hésite pas à critiquer leurs mœurs lors du mandement resté dans la postérité. C'est également lui qui décide de retirer saint Sévérien de la liste des évêques de Mende, fait repris par l'abbé Pourcher pour qualifier la Bête de « fléau de Dieu ».
Abbé Trocellier
L'abbé Trocellier, curé d'Aumont-Aubrac, a organisé de nombreuses battues dans sa paroisse et au-delà. Il a également été témoin oculaire de la Bête, dont il a fait la description dans sa multiple correspondance. Il écrit ainsi que : « ... la Bête se redresse sur ses deux jambes de derrière, et, dans cette position elle badine de ses deux pattes de devant, pour lors elle paraît de la hauteur d’un homme de taille médiocre ». Cette bipédie lui fit évoquer l'idée d'un babouin pour définir à quel animal correspondait la Bête lors d'une lettre adressée au syndic Lafont. Il consigna ses impressions dans le registre paroissial, dessinant même un portrait de la Bête.
LE CORPS ADMINISTRATIF
Étienne Lafont
Etienne Lafont était avocat au parlement de Toulouse, syndic du diocèse de Mende et, depuis 1749, subdélégué de l'intendant du Languedoc en Gévaudan. Le Gévaudan était en effet l'un des pays d'états qui composaient la province du Languedoc. Il était né à Marvejols le 16 mars 1719 et est mort en juillet 1767, 18 jours après la Bête tuée par Chastel.
Ses frères, Jacques et surtout Trophime, l'ont aidé dans son travail pour éradiquer la Bête.
Monsieur de Montluc
Pierre de Tassy de Monluc, né à Saint-Flour en 1721 et mort en 1796, était le subdélégué du diocèse de Saint-Flour auprès de l'intendant d'Auvergne.
Comte de Moncan
Jean-Baptiste Marin, comte de Moncan, était maréchal des armées du Roi et gouverneur militaire du Languedoc. Il fut ensuite lieutenant-général et grand'croix de l'Ordre de Saint-Louis, et nommé sénéchal et gouverneur du Rouergue le 1er mars 1767. Il resta en charge jusqu'à sa mort, en 1779.
Monsieur de Saint-Priest
Marie-Joseph de Guignard de Saint Priest était l'intendant du Languedoc à partir de 1764. Il fut préalablement conseiller à la cours des aides de Montpellier, puis, en 1757, maître des requêtes, avant de devenir intendant.
Simon Charles Sébastien Bernard de Ballainvilliers
Simon de Ballainvilliers était intendant de la province d'Auvergne de 1757 à 1767. Le 19 juin il rapporte dans une lettre le détail de la fin de la Bête, ainsi il écrit : « Jean Chastel, un enfant du pays, a tué une bête qui parut être un loup, mais un loup extraordinaire et bien différent par sa figure et ses proportions des loups que l'on voit dans ce pays. »
Comte de Saint-Florentin
Monsieur le comte Louis Phélypeaux de Saint-Florentin était un ministre du Roi. Il fut l'un des interlocuteurs privilégiés des correspondances entre les gentilshommes du Gévaudan et la cour du Roi.
Monsieur de l'Averdy
Comme le comte de Saint-Florentin, Clément de l'Averdy était un ministre du Roi, contrôleur général des finances, et a entretenu une correspondance avec le Gévaudan.
LES CHASSEURS
Capitaine Duhamel
Jean Baptiste Louis François Boulanger, seigneur de Duhamel, fut d'abord lieutenant au régiment de Cambis à partir de 1747. De 1756 à 1758 il devient cornette au régiment de Royal Roussillon cavalerie. Puis il est engagé comme aide-major d'infanterie du régiment des volontaires de Clermont-Prince. C'est cette année 1758 qu'il obtient le grade de capitaine. Il devient aide-major des dragons en 1760. Aux premières attaques de la Bête, en 1764, il commandait ses troupes dans la région de Langogne.
Messieurs Denneval
Jean Charles Marc Antoine Vaumesle d’Enneval, parfois prénommé Martin, né en 1703, était grand louvetier du haras d’Exmes en Normandie de 1703 à 1769. Il est venu en Gévaudan avec son fils Jean-François.
Monsieur Antoine et Antoine de Beauterne
François Antoine, né vers 1695, était porte-arquebuse du roi Louis XV, sous-lieutenant des chasses et inspecteur de la forêt de la Capitainerie de Saint-Germain-en-Laye. Il était également grand louvetier du royaume et chevalier de l'Ordre de Saint-Louis.
Il était venu avec son troisième fils, Robert-François Antoine de Beauterne, né le 26 juin 1748, porte-arquebuse du dauphin et gendarme de la garde du roi. Ce dernier avait acquis la particule « de Beauterne » indépendamment d'un quelconque héritage familial.
Ils étaient assistés par : le garde général Lacoste ; les gardes-chasse de la capitainerie royale de Saint-Germain Pélissier, Régnault et Dumoulin ; les gardes-chasse à cheval du duc d'Orléans Lacour et Rinchard[N 26] et les gardes-chasse du duc de Penthièvre Lecteur, Lachenay et Bonnet.
LES THEORIES
Le fléau de Dieu
Le terme de « fléau » est employé en 1765 par monseigneur de Choiseul-Beaupré dans son mandement : « ce fléau extraordinaire, ce fléau qui nous est particulier et qui porte avec lui un caractère si frappant et si visible de la colère de Dieu ». La Bête n'est donc pas un loup, ni un quelconque animal connu, mais une Bête unique envoyée par Dieu pour punir le peuple de ses péchés. Cette théorie est d'ailleurs reprise par celui qui est considéré comme le premier historien de la Bête, l'abbé Pierre Pourcher. Né au Mazet, vers Julianges, l'abbé Pourcher était curé à Saint-Martin-de-Boubaux et imprimait lui-même les livres qu'il écrivait. Pour lui, ce fléau a été envoyé par Dieu principalement à cause de la disparition de Sévérien de la liste des évêques de Mende. Sévérien, qui aurait été disciple de Martial de Limoges, a longtemps été considéré comme l'évangélisateur du Gévaudan au cours du IIIe siècle. Cependant, il se pourrait que ce soit une mauvaise interprétation des textes qui ait fait confondre Sévérien de Gabala, en Syrie, avec un Sévérien du pays des Gabales. C'est pour cette raison que l'évêque Gabriel-Florent de Choiseul-Beaupré l'avait déclassé de la liste des évêques en 1763, peu avant les premières attaques.
UN OU PLUSIEURS LOUPS
Officiellement, tous les animaux tués en Gévaudan lors des chasses contre la Bête ont toujours été des loups. C'est en tout cas ce qui est dit par monsieur de Buffon à propos de l'animal tué par François Antoine, comme de celui ramené par Jean Chastel. La théorie du loup anthropophage a été évoquée au moment des faits, et s'est conservée au fil des années. L'abbé François Fabre évoque une famille de loups, alors qu'à partir des années 1960 on en compte trois. Ces trois loups, selon l'abbé Xavier Pic, auraient été celui tiré par les frères Marlet de la Chaumette, celui tué par François Antoine et le garde Rinchard, et le troisième tué par Jean Chastel. Jacques Delperrié de Bayac arrive à la même conclusion, même s'il évoque la possibilité de la présence d'un quatrième loup. Guy Crouzet et le chanoine Félix Buffière sont beaucoup moins précis sur leur nombre, mais concluent également à la culpabilité des loups.
UN ANIMAL EXOTIQUE
Le fait que la Bête soit un animal exotique a été l'une des premières théories, d'ailleurs avancées au moment même des événements. Le mandement de l'évêque évoque en effet « une bête féroce, inconnue dans nos climats ». L'animal le plus souvent cité est alors la hyène qui aurait pu s'évader de la foire de Beaucaire. Guy Crouzet l'évoque avec prudence, alors que Gérard Ménatory émet l'hypothèse que cette hyène aurait été ramenée d'Afrique par Antoine Chastel. Il associe donc l'animal exotique à l'intervention humaine.
Pour corroborer l'hypothèse de la hyène, est parfois utilisé un petit fascicule paru en 1819, et vendu au Jardin des Plantes. Ce fascicule évoque un animal autrefois exposé, une hyène barrée d'Orient : « Ce féroce et indomptable animal est rangé dans la classe du loup cervier ; il habite l’Égypte, il parcourt les tombeaux pour en arracher les cadavres ; le jour, il attaque les hommes, les femmes et les enfants, et les dévore. Il porte une crinière sur son dos, barrée comme le tigre royal ; celle-ci est de la même espèce que celle que l’on voit au cabinet d’Histoire Naturelle, et qui a dévoré, dans le Gévaudan, une grande quantité de personnes ».
Mais bien d'autres animaux ont été cités comme étant la Bête, comme le glouton (ou carcajou), le thylacine, ou bien le tigron. La famille des félidés est d'ailleurs plusieurs fois évoquée : lion, panthère, guépard, etc. Sont suggérés également : un grand singe (comme le babouin) ou même un ours brun.
En se fondant sur certaines descriptions, des adeptes de la cryptozoologie se sont demandé s'il ne s'agissait pas d'un des derniers survivants des mesonychia, sortes de « loups à sabots » disparus vers la fin de l'éocène.
UN FOU SADIQUE
La théorie du fou sadique écarte totalement la présence d'un animal. C'est le docteur Puech, professeur agrégé à l'université de médecine de Montpellier, qui avance cette hypothèse en 1910. Selon lui, les cadavres abandonnés par le fou incriminé auraient été rongés par des loups. C'est la présence de mystificateurs recouverts de peaux de loups qui auraient entretenu la peur et l'accusation d'une Bête.
Cette hypothèse a ensuite été reprise mais n'impliquerait plus une mais deux personnes minimum. Le terme « sadique » se rattache à la mise en scène de certains meurtres, où les têtes ont été retrouvées tranchées.
L'INTERVENTION HUMAINE OU LE COMPLOT
Ce sont Abel Chevalley et Henri Pourrat qui ont popularisé la théorie selon laquelle la Bête du Gévaudan serait un animal dressé pour tuer, accompagné d'un ou plusieurs humains. Un noble du pays, Jean-François-Charles de Morangiès, et un paysan solitaire nommé Antoine Chastel, sont souvent les personnes désignées comme dresseurs. Abel Chevalley voit en la Bête un mâtin ou une hyène ramenée par Antoine Chastel d'Afrique, ce dernier ayant le fils Morangiès comme complice. Pour Henri Pourrat c'est le même Antoine Chastel qui aurait dressé la Bête, couvert par son père Jean, qui aurait finalement abattu l'animal.
Raymond-Francis Dubois va un peu plus loin dans cette piste. En défenseur des loups, c'est un chien qui est accusé. Ce chien, dressé pour la guerre comme il en existait au XVIe siècle, était alors recouvert d'une cuirasse. Le poil de sanglier, très dru et serré, aurait pu constituer une protection efficace y compris contre les balles. Là aussi c'est Antoine Chastel qui aurait élevé et guidé cet animal, suivant les ordres d'un noble du pays. Michel Louis, fondateur et directeur du parc zoologique d'Amneville est partisan de cette théorie. Pour lui, la raie noire constatée sur le dos de la Bête ne correspond pas au pelage du loup, mais est, par contre, caractéristique de celui du sanglier. Il relève également que cette caractéristique n'a pas été observée sur le cadavre des différents animaux tués.
La théorie d'un animal dressé pour le dessein des notables du pays a été reprise fréquemment à partir des années 1990 pour les besoins de productions littéraires, BD, etc. comme dans la fiction de Christophe Gans Le Pacte des loups.
UTILISATIONS MODERNES DE LA LEGENDE
La région où a sévi la Bête, ainsi que les lieux alentours, se sont peu à peu appropriés sa légende. Musées, statues et sentiers pédagogiques ont fait leur apparition. On retrouve ainsi :
une sculpture de la Bête à Saint-Privat-d'Allier ;
le musée de la Bête du Gévaudan à Saugues. Il restitue par des personnages en plâtre et des effets sonores, l'atmosphère de terreur qui régna entre 1764 et 1767 dans la région de Saugues. Il fête ses dix ans d'existence en juillet 2009 ;
une statue de bois se dresse également dans le village de Saugues, à laquelle viennent se rajouter diverses représentations ;
une statue se trouve au village d'Auvers. Elle représente le combat de Marie Jeanne Vallet contre la Bête, et a été exécutée par le sculpteur Philippe Kaeppelin. Elle a été inaugurée en 1995, suscitant même une polémique à propos de l'usage touristique d'une Bête ayant commis de tels crimes ;
une stèle à la mémoire de Jean Chastel, le vainqueur de la Bête, se trouve dans le village de La Besseyre-Saint-Mary ;
une statue de la Bête du Gévaudan sculptée par Auricoste figure à Marvejols. La Bête n'est pourtant jamais venue à proximité de la cité.
À cela s'ajoute le musée du parc à loups du Gévaudan, qui possède quelques documents relatifs à la légende. De plus, de nombreuses entreprises, ou autres clubs sportifs, de Lozère et de Haute-Loire, ont choisi la Bête du Gévaudan comme emblème.
THEATRE
L'histoire de la Bête du Gévaudan a été adaptée au théâtre. Il s'agit d'une pièce en trois actes de Jacques Audiberti, sortie en 1936 sous le nom de La Bête noire. Elle est présentée en 1948 à la Huchette à Paris, et a été renommée en La Fête noire. Les noms historiques n'ont pas été conservés. La pièce présente une lutte entre paysans et aristocrates locaux.
En 2008, un nouvelle pièce est montée sous le nom de La Bête est là..., avec Geneviève et Robert Sicard et une mise en scène de Patricia Capdeveille. Il s'agit d'une adaptation du livre de Laurent Fournier intitulé Petite histoire des grands ravages d'une méchante bête.
CINEMA ET TELEVISION
Plusieurs films ont pris pour trames de fond l'histoire ou la légende de la Bête du Gévaudan. On retrouve ainsi :
Le Pacte des loups, film de Christophe Gans (2001) ;
La Bête du Gévaudan, téléfilm de Patrick Volson (2003).
Mais cette histoire a aussi fait l'objet de plusieurs reportages et autres documentaires, comme :
La Bête du Gévaudan, dramatique de la série Le Tribunal de l'impossible diffusée en 1967 (ORTF) ;
La Bête du Gévaudan, autopsie d'un mythe, de David Teyssandier ;
La bête du Gévaudan, documentaire de 1970 de la Télévision suisse romande ;
Quel est le mystère de la bête du Gévaudan ?, dans la série Secrets d'histoire, documentaire de 2007-2008 de France 2.
LITTERATURE
L'écrivain écossais Robert Louis Stevenson a traversé le Gévaudan en 1878, périple qu'il raconte dans son récit Voyage avec un âne dans les Cévennes. Il écrit ainsi à propos de la Bête : « C'était, en effet, le pays de la toujours mémorable Bête, le Napoléon Bonaparte des loups. Quelle destinée que la sienne ! Elle vécut dix mois à quartier libre dans le Gévaudan et le Vivarais, dévorant femmes et enfants et "bergerettes célèbres pour leur beauté" [...] si tous les loups avaient pu ressembler à ce loup-ci, ils eussent changé l'histoire de l'humanité ».
La Bête est devenue, à partir des années 1970, le personnage central de plusieurs bandes dessinées. Ces premières apparitions sous ce format sont même antérieures, puisque le magazine Héroic dans son numéro 23, du 1er juin 1955, a raconté le « récit véridique de la Bête du Gévaudan ». Entre 1970 et 1990, la Bête apparaît dans les dessins de Comès, de Claude Auclair ou encore du duo Pierre Christin/Enki Bilal. Certains auteurs de bandes dessinées, comme Convard, tentent de s'éloigner légèrement de l'histoire dite officielle, en ne citant aucun nom notamment.
Dans les années 2000, le duo Adrien Pouchalsac et Jan Turek sortent une trilogie, La Bestia, qui se veut la plus proche possible de l'histoire. Il en est de même pour La Bête du Gévaudan de Jean-Louis Pesch, ou encore Le secret de Portefaix, l'enfant du Gévaudan de Cyrille Le Faou et Roger Lagrave. Les romanciers de fiction se sont également inspirés de l'histoire de la Bête pour leurs récits, comme, par exemple Gévaudan de Philippe Mignaval ou Le Chien de Dieu de Patrick Bard.
JEU VIDEO
L'histoire de la Bête du Gévaudan a également servi de trame pour un jeu vidéo sorti en 1985. Ce jeu vidéo a été développé et édité par C.I.L. (Compagnie Informatique Ludique). Se présentant sous la forme d'un jeu d'aventure textuelle, il est sorti sur les micro-ordinateurs Apple II. L'histoire reprend l'hypothèse selon laquelle la Bête était un loup-garou. Le joueur incarne cette Bête et doit trouver un moyen de soigner son mal.